- ENFANCE - Développement psychomoteur
- ENFANCE - Développement psychomoteurEnfance et adolescence peuvent être définies comme étant cette période de l’existence durant laquelle l’individu croît et se développe jusqu’au moment où il atteint l’âge de la maturité.Les termes de croissance et de développement sont souvent confondus. Il convient cependant de les distinguer. La croissance traduit une augmentation mesurable de l’organisme ou d’un organe particulier. On parle au contraire de développement à propos de toute transformation aboutissant à une augmentation plus complexe; celui-ci dépend de l’interaction de deux facteurs: l’un intrinsèque, maturatif, l’autre extrinsèque, provenant du milieu. L’histoire de ce développement commence dès la conception, c’est-à-dire au moment où le spermatozoïde pénètre l’ovule pour former l’œuf.Cependant l’on ne traitera pas ici de ce qui concerne la génétique et l’embryologie, encore que le patrimoine héréditaire et les conditions de la vie intra-utérine jouent un rôle considérable dans le développement ultérieur de l’enfant, puis de l’adolescent. Du patrimoine héréditaire, apporté par les gènes paternels et maternels, dépendent en effet nombre de caractères innés qui se manifesteront de diverses façons tout au long de la vie. Dans l’état de nos connaissances, on ne peut qu’admettre l’existence de ces caractères hérités, sans être capable d’en chiffrer l’importance. Tout au plus arrive-t-on à prévoir statistiquement le risque d’apparition de telle maladie reconnue comme héréditaire. D’autre part, l’on identifie nombre d’embryopathies et de fœtopathies responsables d’une vulnérabilité ou de maladies congénitales, dont la nocivité s’exprimera tout au long de l’existence.Il est donc vain d’établir un bilan de l’influence respective des facteurs innés et des facteurs de milieu. Tout ce qu’on peut affirmer, c’est que les uns et les autres interviennent dans l’évolution tant physique que mentale de l’individu, sans qu’il soit possible de mesurer leur importance respective.Les théories faisant appel au milieu pour expliquer l’origine puis l’apparition de tel ou tel aspect somatique, tel ou tel trait de caractère sont plus positives dans la mesure où elles permettent d’espérer une modification toujours possible des facteurs ambiants, et ainsi de prévenir une anormalité ou d’améliorer la condition de l’homme.Le développement de la personnalité ne se fait pas de façon continue mais selon des phases dont l’existence est reconnue par tous les spécialistes. Celles-ci ne se découpent pas de façon stricte, uniforme et chronologiquement rigoureuse. Chaque individu a son rythme propre, qu’accélèrent ou ralentissent ses conditions d’existence; ainsi s’explique sans doute que chacun délimite de manière particulière la durée et les limites relatives de ces phases.D’une façon générale, chaque stade se caractérise par des capacités, des besoins et un comportement qui lui sont propres. À chacun de ceux-ci, le système nerveux atteint une maturité telle que l’individu devient capable de tel apprentissage, à partir duquel il peut faire un nouveau progrès.Chacune de ces étapes est franchie de façon plus ou moins rapide et harmonieuse, dans la mesure où l’enfant est stimulé et motivé par son environnement et où ses besoins nutritifs sont satisfaits tant qualitativement que quantitativement.Les périodes allant de la naissance à la maturité peuvent être ainsi divisées: – la première enfance ou période néo-natale comprenant: l’âge du nouveau-né (jusqu’à trois semaines) et l’âge du nourrisson (jusqu’à douze ou quinze mois, moment où l’enfant atteint la maîtrise de la marche);– la seconde enfance ou âge de l’exploration: toddler stage disent les auteurs anglo-saxons (de to toddle , trottiner), mettant ainsi l’accent sur l’importance de la déambulation et du langage (de quinze mois à trois ans ou trois ans et demi);– la période préscolaire (de trois ou trois ans et demi à six ans);– l’âge scolaire (de six ans à la puberté) ou période de latence;– l’adolescence allant de la puberté à l’âge adulte dont on ne saurait préciser la date, laquelle varie non seulement d’un individu à un autre, mais encore d’une société à une autre. Ainsi, dans nos civilisations occidentales, l’adolescence biologique ne coïncide plus avec l’adolescence sociale.La meilleure façon de définir la fin de l’adolescence est sans doute la plus empirique: c’est le moment où l’individu est reconnu comme étant adulte par la société à laquelle il appartient.D’autres termes sont utilisés pour désigner ces périodes, en particulier par les psychanalystes. Pour ceux-ci, les phases sont définies en termes de développement psycho-sexuel: la première, la seconde enfance et l’âge préscolaire sont divisés en stades oral, anal, phallique et œdipien. À l’âge scolaire correspond la période de latence, à l’adolescence le stade génital. Kanner définit les périodes de l’enfance selon les progrès de la socialisation. Les quinze à dix-huit premiers mois sont appelés période de socialisation alimentaire; entre dix-huit mois et quatre ou cinq ans, on parle de période de socialisation domestique et, à partir de quatre ou cinq ans, de période de socialisation communautaire.Au fur et à mesure que grandit l’enfant, les différences d’un individu à l’autre augmentent considérablement, si bien qu’on ne peut guère proposer qu’une évaluation générale prêtant seulement aux plus prudentes extrapolations.1. La première enfanceLe nouveau-né (jusqu’à trois semaines)La naissance, pour limitée qu’elle paraisse à des processus mécaniques et physiologiques, constitue néanmoins un traumatisme au sens global du terme, c’est-à-dire qu’elle retentit sur l’ensemble de l’organisation psychique par un afflux d’excitations qui est excessif par rapport à la tolérance du sujet. De l’état de symbiose avec l’organisme maternel, le fœtus passe en quelques instants à l’état de complète autonomie, alors que, pendant la vie intra-utérine, il recevait nourriture et oxygène par les vaisseaux ombilicaux.À sa sortie des voies génitales maternelles, l’enfant est cyanosé, asphyxique. Pour des causes encore mal déterminées (excès de gaz carbonique, manque d’oxygène, contact avec le milieu extérieur plus froid que le milieu utérin), au bout de quelques secondes, il pousse un cri (respiration particulièrement puissante qui introduit soudainement l’air dans les poumons et déplisse les alvéoles). Parallèlement, le sang de l’artère pulmonaire, que court-circuitait le canal artériel, subit par oblitération de celui-ci les premiers échanges gazeux avec l’air venu dans les poumons.Succion, déglutition et défécation sont des mouvements réflexes parfaitement au point dès la naissance. L’enfant sitôt né est capable de téter, de déglutir, d’expulser le méconium que renferme son intestin.Néanmoins, contrairement à la plupart des autres Mammifères, le petit d’Homme naît encore immature et totalement dépendant, pour un long temps encore, de sa mère. La dépendance étroite et nécessaire dans laquelle il se tient vis-à-vis de celle-ci, le corps à corps avec la mère, va permettre des échanges constants, qui sont riches d’expériences réciproques et qui se font sous la forme d’un dialogue dont l’intensité et la chaleur sont, à l’évidence, formatrices. Cette symbiose prolongée est rendue possible par ce que J. Bowlby a décrit sous le terme de «conduites d’attachement », conduites innées liant l’enfant à sa mère et réciproquement. Une telle proximité permet une intime communication entre les deux êtres. Cette notion d’attachement invaliderait la théorie de l’étayage introduite par S. Freud, qui pense que la satisfaction des besoins alimentaires par la mère s’accompagne d’un plaisir qui n’est pas réductible à l’assouvissement pur et simple de la faim. Recroquevillé en position fœtale, hypertonique, plongé dans un état de somnolence quasi constant, il n’est capable que de mouvements globaux, massifs et inadaptés. La conscience qu’il a de sa propre existence est sans doute nulle. Progressivement, il émerge de cet état d’instabilité, ce qui se traduit par une substantielle perte de poids durant les premiers jours, une instabilité thermique, vasomotrice, métabolique, biochimique, de fréquents troubles de la succion, de la déglutition (pouvant aboutir à des «fausses routes»), de la digestion, de la coagulation sanguine et de la résistance des capillaires.Peu à peu, l’enfant trouve son rythme de sommeil. Les premiers jours, il s’éveille sept ou huit fois par vingt-quatre heures pour téter, puis, à la fin du premier mois, endormissement et veille sont moins étroitement liés aux sensations de satiété et de faim. Dès cet âge, il existe une différenciation veille-sommeil du tracé électro-encéphalographique. À six mois, on peut isoler deux périodes de sommeil de six heures chacune. À cette phase, toute relation avec le monde extérieur s’établit essentiellement à l’occasion des repas. Pourvue d’un équipement sensitif beaucoup plus évolué que le reste du corps, la zone buccale et péribuccale joue un rôle double d’alimentation et de connaissance, en relation avec le sein ou le biberon.L’étude du développement moteur montre que le nouveau-né est asymétrique et en flexion; progressivement, aux alentours de trois ou quatre mois, le nourrisson devient symétrique, et la prédominance de la flexion s’atténue en même temps que diminue l’hypertonie. À cet âge, on met en évidence divers automatismes moteurs groupés sous le nom de réflexes archaïques, qui vont en s’effaçant au fur et à mesure que l’enfant grandit et que ses activités motrices deviennent volontaires, adaptées, sous le contrôle du cortex cérébral, lequel a progressivement mûri. Tels sont le réflexe de Moro: un coup violent frappé sur le plan où repose l’enfant entraîne un écartement symétrique des deux bras qui vont se rejoindre en un arc de cercle; le réflexe de la marche automatique: l’enfant étant soutenu sous les aisselles, légèrement penché en avant, les pieds appuyant sur le sol, ses membres inférieurs esquissent des pas; le grasping reflex par lequel le nouveau-né s’agrippe vigoureusement à tout objet venant stimuler la paume de sa main, et cela au point que l’enfant peut être ainsi soulevé. (On a déjà mentionné les réflexes labiaux, de succion et de déglutition.)La persistance de ces réflexes au-delà d’un certain âge, variable pour chacun d’entre eux, peut être tenue pour pathologique. Enfin, malgré son apparente indifférence aux stimulations, il est expérimentalement prouvé aujourd’hui que l’enfant nouveau-né est équipé, pour sentir les diverses propriétés du milieu ambiant. La sensibilité au tact et à la douleur existe très précocement. Le goût est déjà développé: les substances salées, amères et acides déterminent une réaction négative; les substances sucrées entraînent une réaction positive avec abondante sécrétion salivaire. Les réflexes photomoteur, consensuel et de clignement se manifestent dès la naissance; le nouveau-né est donc sensible à la lumière, mais il ne distingue pas encore les objets. Contrairement à une opinion encore défendue par quelques-uns, le nouveau-né est sensible aux stimulations sonores, et cela est essentiel pour qu’ultérieurement il puisse modeler son langage sur celui d’autrui.Le nourrisson (jusqu’à douze ou quinze mois)Tous les auteurs sont d’accord pour faire de cette période un ensemble évolutif et fonctionnel. Globaux, massifs et inadaptés au point de départ, les mouvements du nouveau-né deviennent à la fin de cette période des gestes coordonnés et capables de s’adapter au but. Cette évolution se fait, suivant une direction céphalo-caudale – de haut en bas – et proximo-distale, c’est-à-dire de la racine à l’extrémité des membres. Le but du développement est alors l’acquisition de la marche indépendante. Cet âge précède celui où l’enfant, capable de déambulation, commence à s’exprimer par le langage.L’étude du développement psychomoteur du premier âge a été remarquablement faite, à partir d’une abondante documentation cinématographique, par A. Gesell. Celui-ci découpe les premières années de l’existence en périodes caractéristiques, qu’il nomme âges clés, et décrit différents secteurs du comportement: comportement moteur (posture, locomotion, préhension, ensembles posturaux); comportement d’adaptation (capacité de percevoir des éléments significatifs dans une situation et de mettre l’expérience présente et passée au service de l’adaptation à des situations nouvelles); comportement verbal (toute forme de communication et de compréhension des sons, des paroles, des gestes); comportement personnel et social (réactions personnelles à d’autres personnes et aux usages sociaux).Cette étude permet d’établir un quotient de développement – Q.D. = âge de maturité/âge chronologique – dont l’intérêt pratique est certain dans la mesure où l’on ne s’en tient pas au chiffre et où l’on sait critiquer les données ainsi obtenues et les intégrer au reste de l’examen.– De trois à quatre semaines , le nourrisson suit des yeux, puis de la tête, les objets proches; il manifeste plus d’intérêt au visage humain qu’aux autres objets. Quand son attention est captée par une stimulation visuelle, son activité motrice globale diminue. Il joue avec ses mains et ses pieds. Il balance la tête rythmiquement. En suspension verticale, la tête a tendance à tomber en avant. Durant la troisième semaine, on observe l’apparition d’un sourire adapté à un stimulus auditif. C’est un sourire «social», de signification différente du sourire qu’on observe précocement dès la naissance et qui ne comporte aucune charge affective. À la fin de la quatrième semaine, apparaît le sourire en présence d’un visage, mais, ainsi que l’a montré R. Spitz, un visage anonyme recouvert d’un masque joue le même rôle, alors qu’à cette période le nourrisson marque une nette préférence pour la voix maternelle. La réponse par un sourire au sourire de l’autre sans distinction de la personne constitue le premier organisateur décrit par R. Spitz.– De cinq à huit semaines , le nourrisson cesse de crier aussitôt qu’on le saisit. Ses cris commencent à se différencier selon l’état biologique ou affectif qu’ils expriment. Des vocalisations apparaissent. Des mouvements dissociés, unilatéraux, localisés aux membres supérieurs (extension du bras et de l’avant-bras, poing fermé) apparaissent. À six semaines, le bébé est capable de maintenir sa tête dans le plan des épaules, momentanément du moins. À huit semaines, il la maintient de façon prolongée. C’est à peu près à ce moment que débute la poursuite oculaire.– À douze semaines , l’attitude, jusqu’alors fléchie, est en extension. À cet âge s’affirment les mouvements de rotation (pronation et supination) des poignets, qui dès la huitième semaine s’étaient ébauchés, ainsi que la tendance au mouvement unilatéral. Ces acquisitions sont d’ailleurs très variables d’un enfant à un autre. Harmonieux chez certains, les mouvements peuvent chez d’autres avoir l’allure de véritables «décharges» motrices.– À seize semaines , l’enfant couché sur le dos tente de se retourner sur le côté. Posé sur le ventre, il se dresse sur les bras et essaie de se renverser sur le dos. Il acquiert le contrôle des muscles qui supportent la tête et meuvent les membres supérieurs. Il tend la main vers les objets, il commence à babiller, sa mimique est de plus en plus expressive.– À vingt semaines , apparaît la préhension palmaire simple qui fait suite à la première préhension cubito-palmaire. Celle-ci est bimanuelle et simultanée: l’enfant ne peut encore tenir deux objets à la fois; lorsqu’une main saisit un objet, l’autre lâche celui qu’elle tenait.– À vingt-quatre semaines , l’enfant soutenu, les pieds au sol, se redresse en poussant sur ses jambes, mais ne peut conserver longtemps cette position car ses membres inférieurs fléchissent. Ses essais de position assise sont encore infructueux; il peut, dans un équilibre mal assuré, se tenir sur ses mains posées en avant.– À trente-deux semaines , il se tient debout sans support puis se soulève pour s’asseoir; il a acquis la position assise. La préhension est devenue radio-palmaire, elle est plus fine, le pouce n’étant plus, comme chez le nouveau-né, un accessoire inutile. L’enfant fait passer un objet d’une main à l’autre. La main droite acquiert une certaine habileté par rapport à la gauche. Il est capable de tenir un objet dans chaque main et de commencer à le manipuler.Le second organisateur selon Spitz consiste en la reconnaissance de la mère en tant que telle par le bébé. Entre le sixième et le huitième mois, celui-ci ne répond plus au sourire de n’importe quel adulte; il distingue le familier de l’étranger et manifeste son déplaisir, son inquiétude par des pleurs ou des réactions d’évitement: c’est l’angoisse du huitième mois, «preuve que l’enfant rejette tout excepté l’objet unique, en d’autres termes qu’il a trouvé le partenaire avec lequel il forme des relations objectales dans le sens propre du terme» (Spitz).– À trente-six semaines , l’enfant rampe sur le ventre, se déplace à quatre pattes ou sur le postérieur; quelques semaines plus tard, il se met debout, en s’appuyant lui-même ou bien lorsqu’on l’y aide. À cette date, s’installe le type définitif de la préhension, devenu radio-digital; d’ambidextre il devient droitier. À la phase du babil succède la phase d’imitation mélodique, qui persistera à travers la phase du jargon.Pendant les quinze premiers mois, on assiste, parallèlement au développement psychomoteur, à un développement de l’affectivité qui s’organise autour de la personne de la mère. Aussi peut-on schématiquement diviser cette période en une phase précédant le sevrage et une phase de sevrage.Pendant la première, le temps est mesuré par les tétées; le nourrisson, qui d’abord crie ou pleure lorsqu’il a faim ou qu’il est mal à l’aise, manifeste sa détresse lorsqu’il perd ce qu’il aime, en l’occurrence lorsque sa mère le quitte. La qualité de ces rapports mère-enfant a sans doute une importance décisive. Le sevrage signifie séparation: le nourrisson qui s’est progressivement distingué de son entourage prend une réelle autonomie. On verra combien la carence des soins maternels durant la première année peut être nocive.2. L’enfant de un à trois ans: l’âge de la déambulation et du langageÀ un an, l’enfant est capable de se tenir debout, d’abord avec appui, puis sans appui, en élargissant son polygone de sustentation, jambes écartées. À l’hypertonie des premiers mois a succédé une hypotonie telle que l’on peut faire prendre aux différents segments du corps des positions véritablement acrobatiques: témoin la souplesse avec laquelle l’enfant de cet âge suce son pied.Au début de la deuxième année apparaît la marche indépendante. On peut la situer en moyenne à treize ou quatorze mois, mais les écarts sont considérables (neuf à dix-huit mois); elle n’est véritablement assurée que vers deux ans. À ce moment l’enfant court, sait se relever quand il tombe, monte un à un les degrés de l’escalier. L’acquisition de la marche constitue une étape capitale puisque c’est à partir de ce moment que l’enfant est capable d’explorer par lui-même le monde qui l’entoure, allant de découverte en découverte et acquérant ainsi une autonomie de plus en plus grande.À trois ans, la coordination des mouvements est assurée. La préhension est devenue de plus en plus fine et l’on a pu dire que la main devenait l’«outil, l’instrument de l’intelligence». L’enfant de quinze mois imite les gestes simples. À dix-huit mois, il boit à la tasse; à vingt-quatre mois, il essaie de s’habiller tout seul.Le contrôle sphinctérien apparaît entre quinze et vingt mois; l’enfant «demande» et ne doit plus se souiller si l’on répond au besoin qu’il exprime. L’importance affective du contrôle sphinctérien est grande. La première selle faite à la demande de la mère signifie que l’enfant, pour obéir au désir de celle-ci, diffère la satisfaction d’un besoin naturel.L’acquisition du langage suppose que soient réunis un certain nombre de facteurs: maturité et intégrité des systèmes sensoriels de réception et d’expression, capacités intellectuelles adéquates, enfin, un ensemble de stimulations et de motivations, lequel dépend de la qualité affective et culturelle du milieu.On a signalé la période prélinguistique, qui s’étend durant les quinze premiers mois. Au vagissement des premières semaines, fruste réaction à l’inconfort, fait suite le cri par lequel l’enfant exprime ses besoins et commence à manifester ses désirs.La «bonne mère» saura interpréter ces cris et y répondre de façon adéquate; certaines ne le savent pas, créant ainsi précocement un cercle vicieux de frustrations, d’insatisfactions, de refus. Vers deux mois, apparaît le babillage, qui dure jusqu’à la fin de la première année. C’est entre le septième et le quinzième mois que l’enfant entre dans la phase proprement linguistique. En même temps qu’il apprend à comprendre, il s’exerce à émettre des sons et modèle ainsi son propre langage sur celui d’autrui dont l’importance est ici capitale. Aux alentours de dix à douze mois, le «jasis», si riche auparavant, s’appauvrit au profit de certains sons privilégiés appartenant à la langue maternelle. Ceux-là mêmes qu’il entend prononcer par ses proches, il les emmagasine, les répète avec jubilation en un jeu qui se charge progressivement de signification dans la mesure où ses proches les lui renverront à bon escient. La compréhension déborde amplement l’élocution et la charge affective du langage enfantin est certaine. Les premiers ensembles phonétiques veulent dire plus que le mot, si bien que l’on peut parler de mot-phrase.Le mot-phrase est alors utilisé dans un contexte extra-linguistique. Circonstances, mimiques, gestes lui donnent sa signification. Ainsi, «pati» peut aussi bien vouloir dire «maman est parti» que «je vais partir». À ce moment, l’enfant utilise le «non». C’est pour Spitz le troisième organisateur du psychisme: par le refus, il signifie qu’il est devenu capable de s’opposer consciemment à l’autre, de s’identifier à celui-là même qui interdit. Vers vingt mois, l’enfant parvient à juxtaposer deux mots significatifs, puis apparaît la phrase grammaticale; le vocabulaire s’enrichit très rapidement: un moment décisif est atteint quand, du vingt-deuxième au vingt-huitième mois, l’enfant commence à parler de lui à la première personne, ce qui témoigne d’une prise de conscience de sa personnalité. Jusqu’à l’âge de cinq ans, le langage est, selon la formule de Piaget, essentiellement égocentrique: il s’agit de monologue; puis il devient moyen de communication, et sa richesse, son développement, sa qualité sont fonction du milieu.On comprend donc que la carence de soins maternels durant la première enfance ait des conséquences graves. Il apparaît que les enfants privés durant leur première année de la présence de leur mère ou d’un substitut maternel risquent – suivant la durée, les conditions de cette séparation et de la reprise du dialogue – de voir compromis leur développement psycho-affectif: cette «carence» altère la capacité de l’enfant à établir des relations humaines (J. Aubry). R. Spitz a décrit sous le nom d’hospitalisme l’état de ces enfants qui, élevés en pouponnière, reçoivent des soins dépersonnalisés.3. La période préscolaire: de trois à six ansDans le courant de la troisième année, l’enfant passe par un stade de personnalisme (H. Wallon); il se détache progressivement de l’état de symbiose dans lequel il vivait avec sa mère. C’est l’âge d’une ambivalence qui s’exprime par des manifestations d’opposition systématique alternant avec des manifestations d’attachement passionné. Par cette attitude, l’enfant exprime la conquête de son autonomie en s’affirmant en face du monde environnant. À cette phase fait suite une «période de grâce», marquée par le narcissisme et l’identification. Ici se situe le développement du complexe d’Œdipe décrit par Freud. C’est surtout là qu’intervient la fonction structurale du père: par sa présence, son intimité avec la mère, il est perçu comme constituant un obstacle au désir affectif de l’enfant; le petit garçon voit en lui un rival auquel il doit se soumettre; il finit par le considérer comme un modèle à imiter pour pouvoir devenir lui-même un homme. La petite fille s’identifie à sa mère, cherche à séduire son père, s’imagine volontiers mariée avec lui, mais doit y renoncer. Ainsi le garçon comme la fille reportent dans l’avenir la solution de ce problème pour l’instant insoluble.À six ans débute la période dite de latence. L’enfant est maintenant apte à participer aux activités de l’école. La poussée libidinale, pendant laquelle la succession des stades du développement psycho-sexuel en avait fait un «pervers polymorphe», selon l’expression de Freud, s’est apaisée. Elle fait place au stade de l’intelligence représentative préopératoire (Piaget). Une période de cinq à sept ans va s’écouler avant que l’enfant ne maîtrise suffisamment le langage pour penser correctement avec les mots. Pendant cette période, les organisations de pensée sont imprécises, non critiquées. Le sujet attribue aux événements qu’il découvre des causes et des caractéristiques intuitives. L’imagination est alors en plein essor. Au jeu purement imitatif viennent s’ajouter de multiples représentations fantasmagoriques qui mêlent le rêve à la réalité.L’entrée à l’école maternelle constitue une étape importante: à ce moment, l’enfant est mis en présence d’une autorité autre que celle de ses parents. Il est un élève parmi d’autres du même âge, avec lesquels il s’initie aux jeux collectifs, alors que jusqu’à ce moment, en compagnie d’un autre enfant, le jeu était parallèle. Cette initiation n’est pas toujours exempte de heurts et la qualité de l’atmosphère familiale joue un rôle toujours aussi important; l’attitude de la mère, tout en demeurant «sécurisante», ne doit pas être hyperprotectrice, afin de permettre à l’enfant de prendre son essor.Le père représente l’autorité, la force. Il importe que l’autorité ne soit pas tyrannie ni la force violence et agressivité. Par le mécanisme dit de répétition, l’enfant est en effet conduit à répéter dans le milieu extra-familial les expériences antérieurement vécues au sein de sa famille.À ce stade, le rang de l’enfant dans la fratrie, la répartition des sexes à l’intérieur de celle-ci sont des éléments dont le rôle n’est pas négligeable pour le développement psychologique et intellectuel.4. L’âge scolaire: de six ans à l’âge de la pubertéCette période se prête plus mal que celles qui précèdent à un découpage en stades bien individualisés. La scolarité prend ici une place essentielle, la plus grande partie de la vie de l’enfant se passe à l’école. Ses contacts sociaux se multiplient et se diversifient. La réussite ou l’échec scolaire sont généralement au premier rang des préoccupations parentales à son égard, ce qui donne à la scolarité une dimension affective évidente. Or l’enfant de cet âge ne comprend que rarement l’intérêt des notions qui lui sont enseignées et qui lui apparaissent souvent comme complexes, rebutantes, inutiles. Si certains, du fait de leurs dispositions et d’un soutien familial efficace, vivent une scolarité sans heurts, d’autres, handicapés par les difficultés instrumentales, une intelligence moyenne, voire médiocre, ou ne pouvant compter sur l’aide familiale, risquent d’accumuler les échecs. Or, le retentissement des difficultés scolaires sur l’équilibre du sujet s’exprime par de multiples troubles de la conduite, qui, a priori, peuvent sembler sans nul rapport les uns avec les autres: phobies scolaires, école buissonnière, d’une part, mais aussi mensonges, fugues, vols, difficultés alimentaires ou encore sphinctériennes.Au point de vue proprement psychique, l’imagination débordante de l’âge préscolaire se tempère et l’on assiste à la naissance de la pensée concrète; le petit écolier est capable d’une concentration de plus en plus durable et intense. Son attention est de moins en moins labile et dispersée. Il est capable de poursuivre un but déterminé, encore qu’il se décourage facilement. Socialement, il se dégage, non sans heurts, de l’emprise parentale, s’intègre dans des groupes d’enfants de son âge et y remplit un rôle précis. Naturellement, le milieu dans lequel il vit joue un rôle essentiel: d’où une ségrégation socioculturelle dans le monde même des enfants, à laquelle l’école ne peut suppléer.5. L’adolescenceL’adolescence est la période de la vie durant laquelle la croissance staturale et pondérale subit une nouvelle poussée et qui est caractérisée par les profondes modifications qui vont transformer l’enfant en un adulte. Elle dure de deux à trois ans et peut se diviser en trois stades: la prépuberté, caractérisée par une croissance staturale rapide et par l’apparition des caractères sexuels secondaires; la puberté, moment où apparaissent chez la fille les premières règles, chez le garçon la première éjaculation; la postpuberté: période dont on peut difficilement préciser la fin, et que caractérise un arrêt progressif de la croissance staturale, tandis que la croissance pondérale et la maturation morphologique et physiologique des divers organes se poursuivent encore. La pleine maturité sexuelle et l’aptitude à la procréation en sont l’aboutissement. Le bouleversement qui occupe cette période met en question la conception que chacun a de son propre corps. Très perturbatrice est l’absence de parallélisme qui, bien souvent, dissocie cette maturation somatique, intellectuelle, libidinale et sociale.L’adolescent se sent mal à l’aise dans «la gêne et l’ennui de ses membres trop longs» qui lui donnent un aspect d’échassier. Sa mue, son acné, sa pilosité parcellaire lui apparaissent inesthétiques et ridicules. Même s’ils savent que cette discordance n’est que transitoire, l’adolescent et souvent son entourage peuvent la ressentir comme définitive, ce qui est pour celui-là source d’inquiétude grave.L’image que chacun a de lui-même ne dépend pas uniquement de l’image spéculaire: l’homme se regarde non seulement dans le miroir mais dans et par les yeux d’autrui. Les moqueries auxquelles l’adolescent est souvent en butte, tant de la part de ses proches que de ses camarades, peuvent entraîner des réactions névrotiques et agressives: c’est le moment privilégié des régimes alimentaires outranciers, pouvant aboutir chez la jeune fille à l’anorexie mentale.On a vu que l’intérêt sexuel ne débutait pas à la puberté: après la période de latence, que marquent la mise en sommeil des pulsions instinctuelles et la consolidation du moi et du surmoi, l’adolescent opère un réveil brutal de ces pulsions et remet en cause l’équilibre antérieur. Cela ne va pas sans perturbations; de nouvelles défenses apparaissent, par exemple: une protestation ascétique par laquelle l’adolescent bannit toutes les pulsions instinctuelles, tant sexuelles que purement organiques; une intellectualisation se traduisant par le goût des interminables discussions abstraites, politiques, religieuses, morales; une activité créatrice se manifestant dans la poésie, la peinture, la rédaction d’un journal intime.Le problème de la masturbation est au centre des préoccupations de cette période; c’est un fait d’expérience que la masturbation est quasi constante chez les adolescents. Selon Kinsey, près de 92 p. 100 de la population totale masculine en a fait l’expérience jusqu’à l’orgasme. Ce chiffre serait de 82 p. 100 chez les garçons de quinze ans; à partir de dix-huit ans, il décroît constamment avec l’âge. Cette fréquence est moindre chez la fille (62 p. 100, dit Kinsey); elle peut être individuelle ou collective (en miroir ou réciproque), emprunter la forme de jeux homosexuels, s’accompagner d’un véritable prosélytisme, jouer dans certains groupes un rôle initiatique. Les fantasmes qui l’accompagnent sont significatifs et relèvent le plus souvent d’un phénomène de régression. Ces pratiques sont généralement culpabilisantes, mais ce sentiment est variable d’un individu à un autre, dans la mesure où la lutte anxieuse contre ces habitudes mobilise l’énergie de l’adolescent. Le comportement sexuel adulte, surtout chez le garçon, dépend étroitement de la façon dont le problème est résolu. C’est dire l’importance que jouent l’information et l’éducation sexuelles; les interdits brutaux, les menaces de folie, de damnation, de castration pouvant avoir des conséquences néfastes.Quant au comportement social étroitement imbriqué avec la sexualité, il est classique d’y distinguer trois phases:– une phase d’opposition (de douze à quinze ans chez le garçon, de onze à treize ans chez la fille) coïncidant avec la phase prépubertaire au cours de laquelle le jeune adolescent refuse systématiquement tout ce qu’on lui demande: refus de l’ordre, de la propreté; grossièreté, chahuts, refus des marques extérieures de tendresse, etc.;– une phase d’affirmation de soi qui va de quinze à dix-sept ans chez les garçons, de treize à seize ans chez les filles: soit la phase pubertaire. Après le caractère chaotique de la période précédente, l’adolescent revendique son indépendance dans tous les domaines: coiffure, maquillage, vêtements, fréquentations, horaires, lectures, distractions... Il se sent volontiers persécuté, incompris de ses parents, de l’autorité desquels il tente de se dégager et adopte une attitude systématiquement contraire à celle qu’il sait désirée. Son souci d’originalité n’est qu’apparent car, en adoptant le style de son groupe d’âge, il se révèle conformiste dans l’anticonformisme. Cette revendication d’autonomie se heurte à une dépendance financière d’autant plus durable que la scolarité se prolonge;– une phase d’insertion sociale (de dix-sept à dix-huit ans chez les garçons, de seize à dix-sept ans chez les filles) qui correspond à la phase postpubertaire. À ce moment, l’adolescent entre dans le monde du travail ou entreprend des études de son choix; il prend sa destinée en main, accepte mieux l’adulte dans la mesure où il se perçoit lui-même comme tel.C’est à propos de ces phases successives que l’on parle de crise d’adolescence ou, avec M. Debesse, de «crise d’originalité juvénile». Rejetant l’autorité de l’adulte, les adolescents s’assemblent entre eux pour constituer des bandes qui peuvent n’être que des groupes de loisirs mais, dans certaines conditions, risquent de devenir des groupes sociaux, voire antisociaux, avec leurs activités, leurs rites et leur code propres. Les relations sexuelles, homo- ou hétérosexuelles y ont une place importante; la qualité de celles-ci est évidemment variable suivant l’éthique du groupe, l’accession à la maturité sexuelle se faisant progressivement et non sans heurts.Du fait de l’effacement des tabous et des interdits, les comportements sexuels des adolescents d’aujourd’hui sont en pleine mutation et les rapports hétérosexuels de plus en plus précoces. Certains parents, au nom de leurs craintes, anticipent les désirs de leurs enfants. Certaines mères donnent à leurs filles à peine pubères des contraceptifs oraux de façon en quelque sorte préventive, incitant ainsi ces dernières à avoir des rapports sexuels auxquels elles n’aspiraient pas, ce qui s’avère extrêmement traumatisant.Ces expériences très précoces se font au stade phallique, stade où la sexualité est agressive, sadique, infantile, la fille alors n’ayant pas atteint le stade où l’activité génitale s’accompagne de tendresse, d’oblativité, de reconnaissance de l’autre. Ce type de conduite est très proche d’une masturbation réciproque. Ces très jeunes adolescents, contrairement à ceux des générations précédentes, ne transgressent pas la loi, puisque celle-ci est devenue caduque. Cela explique peut-être d’autres transgressions bien actuelles: agressivité, violence, délinquance, drogue.Sous le rapport intellectuel, l’adolescence marque l’achèvement de l’accession aux opérations formelles, cet âge étant situé à quinze ou seize ans suivant les auteurs. Les intérêts se diversifient, les valeurs induites par l’entourage sont remises en question, ce qui ne va pas sans conflits.Enfance et adolescence constituent donc une longue histoire au cours de laquelle l’individu conquiert son autonomie et où intervient l’action conjuguée de son patrimoine héréditaire et des conditions culturelles, sociales, économiques et affectives de ses premières années. Dans l’état actuel de nos connaissances, il est impossible de dire quel facteur l’emporte sur l’autre: «C’est depuis la naissance jusqu’à la fin de la puberté que les facteurs sociaux, familiaux et scolaires agissent sur les tendances affectives de l’enfant, développant les unes, affaiblissant les autres. Quand une tendance s’affirme et reste dominante à la fin de l’adolescence, il est peu probable qu’elle se modifie ultérieurement» (G. Heuyer).
Encyclopédie Universelle. 2012.